Résumé
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Suite à une procédure d’éloignement judiciaire exigée par son père,
Thierry Chartier, 18 ans, vit chez sa grand-mère dans petit village du Nord de la France.
Il travaille dans les champs et se verrait bien reprendre la ferme.
Pour améliorer l’ordinaire, Thierry et son ami Rouillé - le paria du village - volent,
pour le compte de restaurateurs, de la viande dans l’abattoir alentour. Un soir, en
l’absence de Rouillé, Thierry libère tous les porcelets enclavés.
S’il cache son forfait à son complice, la nouvelle se répand vite dans le canton.
Un de leurs clients en profite et tente de les arnaquer. Rouillé perd la tête,
Thierry ne peut l’arrêter. Rouillé abat le restaurateur. Après cinq ans de
réclusion criminelle pour complicité de meurtre, Thierry, muni d’un diplôme d’anglais,
d’un tatouage supplémentaire et d’une culpabilité à jamais ancrée, peut bénéficier
d’une liberté conditionnelle s’il retourne vivre chez ses parents.
Il travaille sur les marchés, devient la mascotte des routiers, quand l’adversité le rattrape.
Il est témoin d’un meurtre. Le commandant de police en charge de l’affaire l’accuse.
Si Thierry se révolte contre l’évidence, sa seule lutte possible est la cavale.
Il échoue dans une petite station balnéaire où il croise la route de Fontaine,
un cafetier qui ne veut rien savoir...
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Le réalisateur
Christophe Otzenberger, né en 1961 à Saint-Maur-des-Fossés, est acteur,
réalisateur et scénariste. Il a joué, entre autres, dans Le Complexe du Kangourou
(1986) de Pierre Jolivet. Après plusieurs documentaires,
il signe avec Itinéraires son deuxième long métrage.
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Entretien avec Christophe Otzenberger
- Vous avez réalisé de nombreux documentaires, pourquoi
aujour-d’hui de la fiction ?
Ce sont les histoires qui dictent les formes cinématographiques ! On
ne se pose pas de question : vous imaginez un type en cavale avec
une caméra aux fesses ? C’est la globalité du film qui m’intéresse. Ce
que les spectateurs en retireront. Les acteurs en fiction, comme les
personnages de documentaire sont les vecteurs de la pensée.
- Itinéraires pourrait être une histoire vraie?
Hélas, oui. Cette histoire est le fruit de plusieurs itinéraires. Écrivant le
scénario, j’avais en tête certaines personnes côtoyées pour mes documentaires.
Des pans de ma propre histoire aussi, car adolescent, j’ai
passé de nombreuses années à la campagne. Mais c’est résolument
un film de fiction.
Thierry - le personnage principal, se débat comme
bien des jeunes, dans un monde trop grand, trop fort pour lui. Trop vache,
peut-être… Son passé le rattrape. Le passé est comme un tatouage,
et un tatouage, même brûlé, laisse une trace indélébile. Mais il se
bat, résiste. C’est cette prise de conscience qui aussi m’intéressait.
- Thierry, délinquant malgré lui ?
S’il vole, c’est sur commande ! Et ces commandes viennent d’adultes
installés, respectés… Ce business, ces petits arrangements avec la vie,
de la part même du cafetier du village, image paternelle en somme, deviennent
une logique d’existence… Le seul délit de Thierry est d’avoir
été, un jour, là où il n’aurait pas dû être. Comment voulez-vous qu’il ait
des repères, qu’il ait conscience du mal ?
- L’image du père est, pour vous, importante…
Il est clair que l’image d’un père ou d’un modèle identificatoire autre,
façonne la vie des individus… Le Talmud nous dit : “la vie n’est pas nécessairement
un châtiment”… Soit, mais encore faut-il avoir un aperçu
d’une vie possible…
Dans Itinéraires, le père de Thierry est un homme
perdu, qui ne sait exprimer sa souffrance, qui ne peut que faire du mal.
C’est un alcoolique et l’alcool en fait un monstre. C’est pourquoi Thierry
est en recherche de père. Je me suis toujours demandé, et je n’ai pas la
réponse, s’il valait mieux être mal-aimé que pas aimé.
En revanche, je
sais que le père, est l’homme qui aime, pas celui qui conçoit…
- Le travelling avant récurrent nous donne une impression de
flash-back...
Le temps zéro de l’histoire est effectivement la découverte du cadavre.
Et la fin du travelling, sur le parking, est la fin du temps de réflexion. Ce
n’est pas à proprement parler un flash-back, c’est un questionnement
continuel. Tout revient à Thierry. Sa culpabilité, certes, mais aussi le doute
intuitif sur les institutions.
Que doit-il faire ? Dans un premier temps,
il fuit, fuit son passé, puis décide de l’assumer. En confiance, puisqu’il
est innocent… Mais la police en fait un coupable plus qu’idéal, évident.
Donc, la seule manière pour lui de refuser cette évidence, de se battre
contre l’injustice, contre le déterminisme, c’est la cavale. Car il sait, inconsciemment,
qu’il va payer. Thierry a accepté sa première condamnation,
mais il n’est pas apaisé. Si je n’avais pas fait le con à l’abattoir, il
serait encore là, le restaurateur, dit-il…
Il refuse les arrangements avec la
morale, avec les mensonges. Il a été coupable, il ne le sera plus. Il s’est
mutilé, il ne le fera plus. D’une manière étonnante, c’est cette lucidité,
cette force qui lui donnent le courage de vivre, qui le meuvent. C’est cette
force qui lui fait refuser l’a priori d’un fonctionnaire, certes bon policier,
mais soumis à l’évidence.
- Son refus porte ses fruits…
Oui, parce que le flic réfléchit à son pouvoir. Le film ne dit pas si le Commandant
Amado finit par croire Thierry innocent… Il est flic, pas juge...
Ce qui m’importe, c’est qu’il se pose des questions sur sa responsabilité
de fonctionnaire.
Ce qui m’importe, c’est le grain de sable qu’il
glisse dans la machine judiciaire, hélas souvent trop bien huilée. Ce qui
m’importe, c’est que de la confrontation des idées naisse un doute…
Penser par soi-même, c’est déjà commencer à résister.
En ce sens, la
bagarre de Thierry et de son avocat est utile. Cette histoire transforme
Amado, il se sent, peu à peu, pris entre les ordres de sa hiérarchie et sa
conscience. J’aime que le choix, ne serait-ce que d’une seule personne,
grippe - en attendant de la changer ? - la vacherie du monde. Je dois avoir
une obsession… Dire combien le monde est vache…
- Bien des personnages du film évoluent…
Oui. Campion, l’avocat, se dévoue comme il ne l’a jamais fait. Thierry
permet à Fontaine d’exister, de se confier, Fontaine lui donne de l’affection.
Thierry est aimé, jalousé… Cela ne lui était pas arrivé depuis
son adolescence avec sa grand-mère. Fontaine ne pose pas de question,
car il ne veut pas savoir, ne veut pas être déçu.
Sandrine, elle, voit
en Thierry la possibilité d’un ailleurs auparavant inaccessible, voit en
lui un amant enfin amoureux... Bien que Thierry sache ces moments
éphémères, il accepte leur bonheur pour eux aussi, peut-être… Et Sandrine
est intelligente, elle ne sombre pas dans le romantisme béat, ne
veut pas d’une vie de cavale. C’est la quadrature du cercle.
Si elle veut
aider son ami, elle doit rester dans la légalité, si l’avocat pousse Thierry
à devenir un hors-la-loi, c’est parce qu’il risque trop gros. Même si ça
semble perdu d’avance, il faut mener combat. L’institution judiciaire
n’est pas parfaite, on le remarque régulièrement… Le monde, encore
une fois, est trop rude, surtout pour les plus vulnérables. Tant qu’il
n’est pas arrêté, l’enquête se poursuit.
Pour vivre, Thierry doit fuir.
Pour tenter de s’expliquer, il lui faudrait se rendre. Ni lui, ni l’avocat, ni
le flic n’ont confiance en notre monde, alors…
- Chez Fontaine, le film est plus léger…
Bien que le film soit noir, il y a heureusement des personnages, des
moments légers. J’aime la comédie, j’aime le bonheur et les bonheurs
d’acteurs…
Ils ont, par ailleurs, tous donné considérablement d’eux-mêmes. Nous
avons beaucoup travaillé en amont, aussi sur le tournage, ils pimentaient,
à loisir, leurs partitions d’émotions personnelles. Moi qui suis
un solitaire le mot m’amuse, mais cette communauté, cette troupe
n’attend que de repartir sur la route.
- Comment avez-vous pensé le film ?
Formellement, Itinéraires ne rappelle pas mon travail documentaire.
Je ne voulais pas que la caméra soit ressentie comme un personnage
supplémentaire, alors que c’est essentiel en documentaire.
S’il y a peu
de plans fixes, les mouvements sont maîtrisés, les plans à l’épaule
sont rares et je n’utilise - pas plus ici qu’en documentaire - jamais la
caméra dite subjective, car le film dans son ensemble est subjectif. Par
contre, la distance entre la caméra et ceux qu’elle filme m’a été intuitivement
inspirée du documentaire. J’ai voulu donner aux spectateurs
l’impression d’être avec les personnages de façon charnelle.
- Pourquoi avoir tourné dans le Nord ?
Parce que j’y suis bien. De surcroît, il y a peu, ailleurs en France, de
stations balnéaires comme Petit Fort Philippe. J’aime la convivialité
du Nord, même si elle est parfois rude. Encore une fois, les gens sont
d’une rare chaleur, et la fièvre de Fontaine est typiquement locale…
- Itinéraires est une histoire universelle ?
Sans être présomptueux, il me semble… C’est un film dans lequel
on peut piocher des sentiments très personnels. Je m’en suis rendu
compte lors des projections en France ou à l’étranger : les gens s’identifient
à Thierry pour des motifs chaque fois différents
Filmographie de Christophe Otzenberger
1986. Toi + moi = 3
Fiction. 30’. Prix du public, Prix Radio France Belfort 86
Prix spécial du jury et prix du public Epinay.
1994. La conquête de Clichy
Documentaire. 90’. Sélections FIPA, Marseille, Réel.
Prix du patrimoine ethnologique Cinéma du Réel 95.
Sortie avril 1995.
1995. Une journée chez ma tante
Documentaire. 52’. Prix des cinémas de recherche,
Marseille 96.
1996. La force du poignet
Documentaire. 52’.
1998. Fragments sur la misère
Documentaire. 90’. Sortie février 1999.
1999. Le jour du concours
CM. fiction. Présentation de la série pas d’histoire.
En cas d’urgence
Documentaire. 70’ (Réel, FIPA…)
2000. Le vigneron français
CM fiction. Avec Roschdy Zem. Série pas d’histoire.
2001. Autrement
LM. 93’. Avec Yann Trégouët et Céline Cuignet
Festivals de San Sebastian, Belfort, Albi - Prix du jury,
Genève, St Denis, Paris, Bogota, Montréal…
Choses vues
Making off de Laisser passer de B. Tavernier
Documentaire. 80’.
2002. Lettre ou ne pas lettre
Documentaire.
Liens:
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